À la découverte de l’Ogham – Introduction au système (1/4)

À la découverte de l’Ogham – Introduction au système (1/4)

Suite d'oghams gravés sur une branche
Promis, à la fin de cette série d’articles, vous saurez déchiffrer ceci !

🌿 Définition de l’ogham

Dans sa forme la plus basique, l’ogham, ou ogam (orthographe ancienne), est un alphabet primitif irlandais constitué de vingt caractères formant quatre groupes distincts, aussi nommés aicme (aicmi au pluriel). Le tracé de ces lettres consiste en des groupements de lignes parallèles, allant de une à cinq, traversant ou partant d’une barre centrale. Il est possible de les tracer horizontalement comme verticalement tant que le sens d’écriture est respecté : le côté droit du tracé vertical se retrouve en bas une fois basculé à l’horizontale. Cinq lettres supplémentaires, nommées forfeda, ont été ajoutées plus tardivement.

« Ceci est leur nombre.
Il y a cinq groupes d’ogham et chaque groupe est composé de cinq lettres,
chacune ayant de une à cinq encoches et on les distingue par leur orientation.
Les orientations sont : à droite de la ligne centrale,
à gauche de la ligne centrale, de part et d’autre de la ligne centrale,
à travers la ligne centrale et autour de la ligne centrale.
L’ogham est construit comme un arbre. »

Auraicept na n-Éces

Chacun des caractères de l’ogham est appelé fid (on parle de feda au pluriel) et possède une signification particulière, un nom pouvant être traduit. Certaines lettres représentent ainsi différentes essences d’arbres, telles que le bouleau, le chêne ou le noisetier, participant à la renommée de l’ogham en tant qu’ « alphabet celte des arbres ». Mais en réalité, c’est loin d’être le cas de tous les feda, et l’on retrouve parmi eux des noms aux significations plus variées, telles que « flamme », « blessure », ou encore « jardin ». S’il est sans conteste le plus connu aujourd’hui, l’ogham des arbres n’en est qu’un parmi beaucoup d’autres (*), et ce système trouve véritablement ses racines dans la signification des lettres elles-mêmes.

(*) Il existe un ogham des couleurs (« Enogam »), un ogham des oiseaux (« Dathogam »), un autre encore consacré à l’agriculture (« Ogam Tirda »)… Une centaine de variantes de l’ogham sont ainsi énumérées rien que dans l’Auraicept na n-Éces.

🌿 Ce que n’est pas l’ogham

Mettons les choses au clair dès le début : l’ogham des arbres tel qu’on le connait aujourd’hui doit en majeure partie sa popularité à l’ouvrage de Robert Graves, The White Goddess. Malheureusement, malgré une richesse poétique indéniable, ce texte est loin d’être exempt de défauts, et les théories de l’écrivain concernant l’histoire et l’utilisation de cet alphabet sont très largement discutables (petite anecdote en passant : son propre grand-père, Charles Graves, spécialiste de l’ogham celte, a rejeté ses propos).

Pour ne citer que cet exemple, l’idée d’un calendrier celte des arbres, avec une espèce représentative pour chaque mois lunaire, n’a absolument aucun fondement historique. Et pourtant, cette étrange interprétation de l’ogham s’est répandue comme une traînée de poudre auprès d’un public charmé, et continue de se transmettre encore allègrement aujourd’hui, jusqu’à avoir donné naissance à une « astrologie des arbres », un « horoscope celtique » totalement fantaisiste. C’est malheureux, mais les publications des chercheurs, elles, sont loin d’avoir autant la cote bizarrement.

Mettons les choses au point également en ce qui concerne l’appellation de « runes celtiques » attribuée à tort et à travers à notre cher alphabet. Ce pseudo lien entre l’ogham et l’Ancien Futhark nous vient du XIXè siècle, époque à laquelle les romantiques, séduits par le côté mystérieux et occulte de ces écritures, ont commencé à faire un rapprochement entre les deux, en mélangeant volontiers au passage les cultures celtique et germano-scandinave. En réalité, les deux alphabets n’ont pas grand chose en commun si ce n’est le fait de posséder une signification particulière à chaque caractère.

Notez que le Futhark récent en revanche, est cité dans l’Auraicept na n-Éces, où il se retrouve qualifié d’ « Ogham des Vikings ». Amusant retournement de situation, non ?

Dernière idée reçue à oublier avant de poursuivre : l’ogham n’a sans doute rien à voir avec les druides antiques. L’hypothèse tend plutôt aujourd’hui vers une écriture inventée et employée par les premiers chrétiens irlandais, pour faire le pont entre le latin et l’irlandais primitif, deux langues présentant énormément de différences phonétiques, et de ce fait difficiles à retranscrire directement de l’une à l’autre.

Alors oui, le christianisme, c’est bien moins sexy que le druidisme pour la plupart des gens gravitant aujourd’hui autour de la sphère néo-païenne. Mais si on pouvait arrêter les confusions et remettre les choses à leur place, ce serait pas mal aussi, vous ne croyez pas ?

🌿 Origines historiques

Si l’on souhaite se lancer dans la quête de l’ogham, mieux vaut aller le chercher à la source – aux racines si vous préférez 😉 L’ogham est présent sur bon nombre de pierres et de monuments anciens (datés aux alentours du IVè siècle), principalement situés en Irlande ainsi que dans le sud-ouest de l’Angleterre. La plupart de ces gravures sont des inscriptions funéraires, ou de simples noms délimitant un territoire ou une propriété, et n’ont que peu d’intérêt pour notre sujet.

Ogham Stone - Anne Patterson
Celle-ci se situe dans le comté de Kerry, au sud-ouest de l’Irlande

En revanche, nous possédons aujourd’hui différents manuscrits, dans lesquels ont été conservés trois textes majeurs apportant des éléments de compréhension de l’ogham : Auraceipt na n-Éces (ou The Scholar’s Primer, que j’ai déjà cité à plusieurs reprises), In Lebor Ogaim (The Book of Ogams ou Ogam Tract, que l’on retrouve notamment dans le Livre de Ballymote), et De Dúilib Feda Na Forfed (Le Livre des Lettres Supplémentaires, dans lequel on trouve le fameux groupe des forfeda).

Au sein de ces textes, on trouve ce que l’on nomme les Bríatharogaim (Bríatharogam au singulier). Si vous êtes un peu familier des cultures scandinaves et de la pratique du « kenning », et bien c’est sensiblement la même chose ici. Il s’agit d’une locution poétique, une périphrase visant à décrire de façon détournée la signification des différentes lettres de l’ogham. Celles qui nous concernent sont composées de deux mots seulement, pour lesquels trois variantes ont été retrouvées, toutes en vieil irlandais. Si vous êtes un peu curieux, les Bríatharogaim peuvent être consultés sur le Wikipédia anglophone.

C’est donc de l’interprétation de ces tournures poétiques que nous vient la signification des feda de l’ogham celte. Notez tout de même qu’à l’époque médiévale, les érudits qui se sont penchés sur la question étaient persuadés que les caractères représentaient des arbres (et oui, déjà !). Ils ont donc légèrement forcé leur interprétation pour aller dans ce sens, trouvant des métaphores là où il n’y en avait peut-être pas. Il s’est avéré par la suite que sur les vingt caractères de notre cher alphabet celte, il n’y en a finalement que cinq ou six qui peuvent véritablement être traduits par des noms d’arbres.

Mais c’est peut-être aussi là toute la magie du kenning et de la poésie : chacun peut être libre d’y voir ce qu’il désire 🙂

🌿 Utilisation de l’ogham

A quoi servait l’ogham à l’origine ? Différentes théories coexistent, allant de l’écriture cryptée permettant de faire passer discrètement un message à un alphabet possédant des propriétés magiques intrinsèques. Ce qui est certain en revanche, c’est qu’il a servi de base à l’apprentissage de la grammaire et de la métrique gaélique. En effet, durant les trois premières années de ses études, l’apprenti poète irlandais, nommé fili, se devait de retenir pas moins de cent cinquante variétés de l’ogham ! Une façon d’enrichir grandement son vocabulaire, et d’avoir toujours sous la main de quoi jouer avec les mots.

Mais là où les mots justement, deviennent encore plus intéressants, c’est que l’apprentissage dont on parle porte un nom bien particulier : filidecht. En vieil irlandais, ce terme signifie « poésie », mais il porte également le sens de « divination ». Quant au fili, le pratiquant de cet art, il est bien sûr poète, mais il est aussi voyant.

De nos jours, la divination est souvent l’emploi le plus courant pour celles et ceux qui choisissent de travailler avec l’ogham, mais ce système peut aller bien au-delà et assumer différentes fonctions, que nous aborderons dans la suite de ces articles. D’ici là, souvenez-vous que l’ogham est avant tout un alphabet, et qu’il est par essence fortement lié au pouvoir des mots, à la magie du verbe. Il est source de poésie et de mystique, et ce n’est pas anodin s’il tire son nom d’Ogma, dieu de la mythologie gauloise dont la principale qualité est l’éloquence.

🌿 Glossaire et prononciation

Je crois qu’arrivé là, et au vu de tous les termes étranges et imprononçables que j’ai déjà employé, j’ai du perdre la moitié d’entre vous en cours de chemin ! Avant d’attaquer la suite, je vous propose donc quelques définitions et éléments de prononciation (j’insiste sur « éléments » hein, je ne suis pas spécialiste de phonétique irlandaise) pour vous aider à vous y retrouver un peu plus facilement.

🍂 Aicme (plur. aicmi) : Groupe de caractères au sein de l’ogham, partageant une même structure.
Se prononce « ak-meh », « ak-mi » au pluriel.

🍂 Bríatharogam (plur. -ogaim) : Locution poétique associée à chaque caractère de l’ogham, donnant un éclairage sur sa signification.
Se prononce « bri-ath-er-oh-am », le « th » étant le son anglais, et le « er » du milieu très peu accentué.

🍂 Fid (plur. feda) : Caractère, lettre composant l’alphabet ogham.
Se lit tel quel, « fid ». Le pluriel voit son « a » final fermé en « e ».

🍂 Fili (plur. filid ou file) : Poète, pratiquant du filidecht.
Se prononce comme il s’écrit.

🍂 Filidecht : Poésie traditionnelle gaélique, mais également divination.
Le sens moderne inclus l’étude et l’apprentissage des mythes et traditions liées aux pratiques magiques.
Se prononce « fi-li-dekt ».

🍂 Forfeda : Groupe de lettres supplémentaires. 5ème et dernier aicme de l’ogham.
Se lit presque comme il s’écrit, en fermant le « a » final.

🍂 Ogham (ou ogam) : Les 20 ou 25 caractères de l’alphabet en ancien irlandais.
Se prononce « oh-am », le « g » est à peine prononcé. Si l’on préfère une prononciation plus moderne, le mot sera prononcé de façon quasi monosyllabique, « om » (un peu comme le « aum » sanskrit).

🍂 Ogma (également Ogme ou Ogmios) : Dieu de la mythologie celtique, créateur de l’écriture oghamique.
Se prononce « oh-ma », en fermant le « a » final, presque sur un « e ».

Crédits photo : Ogham Stone near Traigh an Fhiona © Anne PattersonCreative Commons Licence.

Frise lierre - Séparation de texte

Retrouvez tous les articles de cette série :

Partie 1 – Introduction au système
Partie 2 – Signification des feda
Partie 3 – Méthodes de divination
Partie 4 – S’approprier l’alphabet

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